Pour le droit à la ville

Par le Collectif anarchiste l’(A)telier

La Ville de Québec «consulte» les citoyens et citoyennes du quartier Saint-Roch pour un troisième Programme particulier d’urbanisme (PPU) d’importance sur son territoire(1). En regard des dérives démocratiques de l’administration municipale, que faut-il attendre de ce processus?

Nous devons rester critiques devant ces consultations dont une partie des conclusions est connue d’avance. Nous devons craindre que l’exception ne devienne la règle, c’est-à-dire de ne plus consulter les citoyens que par des PPU. Ceux-ci ont valeur de décret pour la Ville de Québec. Les PPU sont des plans d’urbanisme imposés d’en haut qu’on ne peut plus contester par voie de référendum une fois qu’ils sont adoptés, ce qui rend d’autant plus difficile de s’y opposer.

Si les PPU sont peu démocratiques, il faut dire que les modes de la social-démocratie municipale ne le sont pas beaucoup plus. Les conseils de quartier sont une innovation récente à la Ville de Québec et ne sont jamais que consultatif. L’administration Labeaume, comme la précédente, n’est pas chaude envers toute forme de consultation. L’histoire montre que la Ville n’écoute que rarement les recommandations des citoyens et citoyennes et préfère imposer ses propres idées. De toute façon, les instances consultatives municipales n’ont jamais été suffisantes pour faire contrepoids à la prédation immobilière. Pour y arriver, il faut que la démocratie soit réellement populaire et combative, dans des comités de citoyen-ne-s démocratiques, indépendants et sensibles à l’action directe.

Il est temps pour les résidents et résidentes de Québec d’espérer mieux et plus de la Ville. D’imaginer non pas la ville prospère et blanche de la bourgeoisie possédante du centre-ville, mais plutôt une cité forte de ses usages variés et d’une démocratie sociale. Pour cela, la construction de contre-pouvoirs urbains dans chacun des quartiers de la ville est nécessaire afin de contrer les dérives autoritaires des gouvernements, qu’ils soient fédéral, provincial ou municipal. C’est ce à quoi vous invitent les anarchistes de Québec. Les anarchistes sont peut-être marginaux, mangent peut-être des pavés ou des enfants, mais ont l’intention de travailler avec tous ceux et toutes celles qui ont à cœur leur droit à la ville.

Nouvo Saint-Roch et invasion des «techies»

Il est tout de même particulier que la Ville s’inquiète des besoins d’hypothétiques futurs résidents sans jamais rien proposer pour améliorer la qualité de vie de ceux et celles déjà en place. Proposer des plans d’ensemble du développement urbain de certains quartiers comme le fait le PPU pourrait être opportun, tout comme le développement de terrains vagues, tel celui de la Pointe-au-Lièvre. Néanmoins, tout indique que la Ville de Québec en a encore pour le «tout à l’auto», de peur de ne pas satisfaire les locataires de GM Développement, le grand propriétaire du centre-ville. Alors que la Ville a adoptée en 2012 un Plan de mobilité durable qui vise à infléchir la croissance du parc automobile, le maire nous dit en septembre qu’il n’est pas question de diminuer la place de l’automobile et le PPU suggère plus de stationnements, moins de rues à sens unique, des pistes cyclables uniquement récréatives, etc. Bref, en attendant un incertain tramway, il n’y a rien de concret pour réduire la présence de l’automobile et améliorer l’offre de transport collectif et actif dans ce qui est proposé.

Quant aux écoquartiers, est-il nécessaire de souligner que ces derniers n’incluent que très peu de logements sociaux (environ 5% alors que le Conseil de quartier Saint-Roch comme plusieurs autres groupes en revendique 30%)? Au contraire, ces supposés modèles de développement durable seront composés essentiellement de condos que la vaste majorité de la population de la basse-ville (Saint-Roch, Saint-Sauveur, Limoilou et Vanier) n’aura jamais les moyens de s’acheter? La Ville de Québec semble n’en avoir que pour la Technoculture et les hypothétiques «techies», ces jeunes travailleurs dans les domaines des nouvelles technologies qui viendraient résider dans le centre-ville.

De plus, plusieurs organismes comme le Conseil régional de l’environnement questionnent ouvertement les prétentions écologiques des écoquartiers. À l’heure actuelle, tout indique que les soi-disant écoquartiers ne seront rien d’autre que des ghettos de riches construits sur des terrains publics décontaminés à grand frais avec l’argent des contribuables. Encore une fois, il faut défendre la ville et le quartier Saint-Roch --un lieu qui est à la fois un quartier populaire, un lieu de rencontres et un lieu de culture-- contre de nouveaux projets mégalomanes.

Le deuxième enjeu du PPU, dont curieusement la Ville ne parle pas dans ses communiqués, est la construction de la tour de la CSQ au-dessus de l’actuelle Place Jacques-Cartier. Cette tour est le summum de la rénovation urbaine aveugle, la mise à mort de Place Jacques-Cartier, une place publique historique. Il est lamentable de vouloir privatiser et effacer l’une des dernières places publiques de la ville.

Les plébiscites d’un Napoléon

À l’instar du printemps étudiant qui nous précède, est-il possible de faire valoir une démocratie populaire à l’encontre d’un gouvernement municipal autoritaire? Cela semble d’autant plus difficile que ce dernier est chéri par la population et que contester la mairie est risqué, toute critique étant susceptible de déclencher une volée d’insultes et autres noms d’oiseaux. Il faut dire qu’aucun dossier n’a encore plombé la popularité de l’actuelle administration. Le maire Labeaume est au pouvoir depuis 2007 et son empreinte sur la ville commence à peine à se faire sentir. Élu une première fois avec 59% des votes puis une seconde fois avec 79,7% des voix exprimées, les sondages lui donnent encore une popularité de la même ampleur. À ce rythme, devant une opposition partisane divisée et famélique, c’est à un plébiscite que nous devons nous attendre aux prochaines élections, en 2013. Dans ce contexte, il ne serait pas surprenant qu’une majorité les boycotte tout simplement.

Derrière cette popularité, il faut reconnaitre à ce dernier l’appui providentiel des radios populistes, le soutien des commerçants et propriétaires de la ville, l’apport de spectacles et jeux. Labeaume propose une vision de la ville digne héritière des belles années de Lamontagne (Dufferin Montmorency, Mail Saint-Roch, etc.) et Pelletier (Québec 84), entre béton, automobiles et projets pharaonesques. Pourtant, il est significatif que le niveau d’approbation de Labeaume soit beaucoup moindre «en ville», de Limoilou à Sainte-Foy, là où l’administration municipale utilise l’arme des PPU contre les citoyens et citoyennes. C’est dire que la ville urbaine n’est plus maître chez elle, mais qu’elle doit faire les frais des intérêts contradictoires de sa périphérie. Comment ne pas constater que nous n’apprécions pas le fait d’être devenus un terrain de jeu pour la mairie et les banlieues?

Québec, 27 novembre 2012

(1) Après celui de la colline Parlementaire et celui de Sainte-Foy


Mode d'emploi du développement économique de Saint-Roch

    1) S’installer dans le quartier, pour profiter des subventions.
    2) Exiger des aménagements urbains profitables qui seront réalisés à grands frais d’argent public avec la complicité de la mairie.
    3) Vendre des produits trop cher et sans utilité pour les habitant-e-s du quartier. 4) Prétendre créer de la richesse.
    5) Quitter le quartier aussitôt les subventions taries.

Ce schéma se répète depuis 50 ans. Aujourd’hui le tramway, Place Technoculture et l’ENDI. Hier, la construction et la destruction du mail, le bétonnage et le débétonnage de la Saint-Charles et la construction des autoroutes. Tout pour faire des profits et socialiser les pertes. Tout pour maximiser la concentration du capital.


L'utilité sociale d'une place

Malgré son aspect rébarbatif, la Place Jacques Cartier a tout ce que le Parc Saint-Roch n’a pas : de l’animation et de la vie.

Cette place publique rassemble des gens de tous âges et de toutes classes sociales et ce, à toute heure du jour. C’est un lieu par excellence d’échange et de discussion. La Place Jacques Quartier remplit cette fonction depuis 1857. Cette fonction doit être préservée.

Pourtant, tout marginal se trouvant sur la Place Jacques Cartier est susceptible d’être contrôlé et puni par l’autorité policière. Encore plus depuis l’adoption récente du règlement sur la « paix et le bon ordre » qui ajoute des leviers de répression à la police. Les flâneurs sont suspects parce qu’ils ne consomment pas et ne font pas partie de l’image que les décideurs ont en tête pour le Nouvo Saint-Roch.

Certains ont appelé ça la « société du spectacle ». Selon cette idée, tous les rapports sociaux tendent à devenir des rapports marchands. Un rapport humain n’a de sens que s’il est celui d’un client avec un caissier. Le spectaculaire contamine également l’architecture, le paysage et les consciences, qui deviennent des reflets de notre propre aliénation. Le projet de tour à condos du PPU est un exemple.

Cette logique s’est exprimée avec éclat lorsque les Indigné-e-s ont occupé la Place de l’Université-du-Québec. Dès lors que des individus ont installé des tentes pour y échanger, débattre et solidariser, une véritable coalition de bourgeois se ligua contre eux. Le propriétaire du parking sous-terrain, la mairie, GM développement, la SDC, la radio-poubelle et même les pompiers se mirent de la partie pour saccager le campement sur un espace pourtant public, utilisant l’argument de la sécurité pour masquer leur mépris politique.

Une place publique est à l’usage de tout le monde, particulièrement ceux qui n’ont nulle part ou aller. Les itinérant-e-s et les fumeux de pot de la Place Jacques Cartier sont aussi légitimes de s’y trouver que n’importe quel parvenu du Saint-Roch technoculture.


Regard sur l'histoire
Pour résister, le passé est un vrai mode d’emploi.

1900 : Montée du syndicalisme dans les manufactures de chaussures du quartier.

1960 : Naissance des comités de citoyens et du mouvement populaire contre la rénovation urbaine.

1990 : Naissance de l’Îlot Fleuri pour se réapproprier les espaces vacants laissés par les démolitions des années 1960.

La lutte est dans l’ADN des citoyen-ne-s de Saint-Roch. C’est à nous de reprendre le flambeau.


Vers la Commune de Québec

Contre l’appropriation de nos quartiers par des intérêts privés, les libertaires font cette proposition révolutionnaire : ceux et celles qui habitent un quartier doivent pouvoir décider de son devenir, en choisissant leurs projets et leurs objectifs en assemblée selon leurs propres besoins. Les citoyennes et les citoyens s’autogèrent au sein d’un conseil de quartier décisionnel, chacun étant relié aux autres dans une fédération : la municipalité (ou, comme on dit en France, la Commune). C’est l’Anarchie!

Ce modèle repose sur l’idée de démocratie directe. Les responsables sont ainsi imputables et révocables à tout moment (par contraste, pensez au temps qu’il a fallu avant de déloger le maire Vaillancourt).

Atteindre ce modèle n’est pas une utopie, des projets et des pratiques vont déjà en ce sens. On peut penser aux Opérations populaires d’aménagement, des démarches d’urbanismes similiaires aux PPU dans leurs objectifs mais intégrant les gens dans le processus dès le départ. On peut aussi penser aux comités de citoyennes et de citoyens qui, dans certains quartiers de Québec, sont littéralement la seule opposition permanente et structurée à l’administration municipale. Les luttes urbaines offrent des solutions plus concrètes que n’importe quelle élection. Mais pour mettre en place de telles structures, il faudra mettre de côté l’approche concertationniste traditionnelle. Il faudra se battre.